Pierric Tenthorey, Série et Temps pur
Le Musée Jenish de Vevey invite, Pierric Tenthorey, en résidence du 20 au 24 novembre 2023.
Le fruit de cette résidence sera présenté, du 24 au 26 novembre, dans le cadre d’une Pop-up exhibition à la galerie L&C Tirelli, Rue du Lac 28 A, CH – 1800 Vevey.
Série et Temps pur.
Autour du cheval du film « Le Fils unique » (Ozu Yasujiro, 1936).
Cette résidence sera l’occasion de conclure un travail entamé depuis 2019 autour d’une scène d’un film d’Ozu, « Le Fils unique ».
Dans une séquence, un enfant reçoit la ruade d’un cheval. L’accident n’est jamais montré et le cheval lui-même se contente de brouter, indifférent. Mes toiles sont une réflexion sur l’art d’Ozu et plus largement sur les rapports entre le cinéma et la peinture.
Si Deleuze assimile la photographie « à une espèce de moulage (…) pas simplement une forme qui s’impose du dehors à une matière », mais « un moule de lumière, un moulage de la lumière », il définit « l’image cinématographique comme tendance à extraire le mouvement pur de ses mobiles et de ses véhicules ». Ainsi les grands mouvements d’appareils chez Murnau ou les séquences de montage chez Eisenstein ou Griffith qui permettent de percevoir un mouvement pur indépendant des personnes, des trains ou des chevaux représentés. C’est une « modulation, c’est un moulage variable et continu. Vous pouvez dire aussi bien que le démoulage ne se fait jamais ou que le démoulage est constant et permanent…. Moulage variable continu et temporel. L’image cinématographique, une image mouvement ou ce qui revient au même une modulation de la lumière » (Deleuze, classification des signes et du temps, séance 16)
L’immense cinéaste japonais Ozu fut d’abord influencé par le cinéma américain (Wellman, Lubitsch…). Mais tout au long de ses films, les personnages ont tendance à s’immobiliser, comme ici, où le cheval, symbole du mouvement, symbole du cinéma (serait-il un lointain cousin immobile du cheval de Muybridge ?) ne galope pas, où l’accident, l’action, est supprimée par le montage, a disparu de l’image.
Ce travail en fermentation notamment dans le film dont il est question ici, se réalisera dans le cinéma d’après-guerre. On y notera une rupture du schème sensorimoteur dans le néoréalisme italien et, indépendamment, chez Ozu. Un personnage voit quelque chose, mais ne réagit plus. Ou du moins les choses ne s’enchaînent pas d’une manière nécessaire ou attendue.
Voilà les points de départs des questions qui m’ont inspiré les toiles de la série présentée ici : si la peinture n’est pas un moule et n’extrait aucun mouvement, peut-elle extraire un temps de la peinture ? Est-ce que la série telles que développée par Monet ou Warhol permet cela par les intervalles, les interstices, les différences qu’elle crée entre les toiles ? Dans un va-et-vient entre représentation et abstraction, entre accidents et précision, je tente de déceler ce que la peinture peut extraire de l’image cinématographique. Peut-être un temps pur, libéré de la chronologie.
Après une semaine de résidence au Musée Jenisch, je suis heureux de pouvoir proposer le résultat de ce travail à la Galerie L&C Tirelli, qui mettra en parallèle tableaux et vidéos, à savoir mes toiles et la scène du film.
Ce travail me permettra d’aborder un futur projet, plus conséquent : une nouvelle série représentant les photogrammes du dernier travelling d’Ozu. En effet, en 1956 c’est la caméra d’Ozu qui s’immobilisera définitivement. Après un dernier travelling dans le film « Printemps Précoce », Ozu de filmera plus qu’en plan fixe.
Pierric Tenthorey